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Comprendre l’économie et les marchés financiers pour mieux gérer votre épargne.
21.01.25
Marchés américains

Que retenir du prix Nobel d’Économie 2024 ? 

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Le prix Nobel d’économie, est le seul des cinq autres prix (médecine, physique, chimie, littérature et paix) à ne pas avoir été créé par l’inventeur suédois Alfred Nobel. En effet, il fut ajouté à la liste officielle en 1969 par la Banque centrale suédoise pour rendre hommage au scientifique.  

Les lauréats de l’édition 2024

Pour cette édition, la fameuse récompense a été attribuée à un trio de chercheurs : Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson pour leurs travaux sur le rôle des institutions dans la prospérité économique. Ces trois chercheurs, établis aux États-Unis, sont issus du Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour Johnson et Acemoglu, et de l’Université de Chicago pour Robinson. Acemoglu et Robinson ont publié ensemble 2 ouvrages traduits en français : “Why Nations Fail : The Origins of Power, Prosperity, and Poverty”, sacré New York Times Best-Seller en 2012 et ‘’The Narrow Corridor : States, Societies, and the fate of Liberty ‘’ en 2019. Johnson, fut économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) de mars 2007 à août 2008, et a coécrit avec Acemoglu “Power and Progress: Our Thousand-Year Struggle Over Technology and Prosperity” en 2023.  Ces travaux donnèrent un avant-goût de leur Nobel obtenu des années plus tard, car s’il y a bien un sujet qui passionne ces trois économistes, ce sont bien les inégalités entre les nations.  

Les institutions, clés dans la résolution des inégalités économiques ? 

Dans la lignée de multiples économistes avant eux, notre trio de professeurs a voulu s’attaquer à la question qui dévore la discipline depuis des centaines d’années : pourquoi certaines nations connaissent-elles une croissance économique plus forte que d’autres ? Comment expliquer pourquoi certains pays connaissent des trajectoires très prospères pendant que d'autres sombrent ?

Allant aux antipodes des idées de Montesquieu qui expliquait le sous-développement des pays proches de l’équateur par une théorie comme quoi les climats chauds condamnent immanquablement l’être humain à la paresse et la soumission, et en s’appuyant sur les constats d’Adam Smith que l’intérêt général était stimulé par un désir individuel de liberté d’échange, d’entreprise et de concurrence dans La Richesse des nations, Les trois lauréats ont conclu que les divergences économiques trouvées à l’échelle mondiale pouvaient être expliquée par les institutions politiques et sociale : en bref, que la démocratie favorisait la croissance

Leurs travaux colossaux, basés sur de nombreuses données sémantiques et empiriques, les trois économistes ont cherché à démontrer le rôle prééminent des institutions dans le développement économique, en étudiant les différentes stratégies mises en place par les États européens, lors des vagues de colonisation depuis le XVIème siècle.  

L’incidence de la colonisation dans la santé financière d’un pays

On pourrait résumer la théorie générale développée par les trois économistes de différences de prospérité économique par la mise en place de deux systèmes institutionnels distincts pendant les grandes périodes de colonisation.  

Le premier, extractif, établi dans les régions où la mortalité des colons était élevée à cause des maladies (en Afrique et en Asie du Sud-Est notamment), était conçu pour exploiter les ressources agricoles ou minières afin d’en extraire une rente, sans créer de droits de propriété solides ni d’État de droit. Selon le trio d’économistes, c'est cette démarche passive du contrôle du pouvoir économique et politique, plus à même de laisser des décisions cruciales aux élites locales, qui aurait influé sur la structure institutionnelle des pays longtemps après la fin de la colonisation et causé les nations ayant hérité d’institutions extractives de souffrir de faibles niveaux de développement et d’instabilité politique. 

Le deuxième, à contrario, inclusif, dans les territoires à l’environnement sanitaire adéquat et à la population locale moins nombreuse (en Amérique du Nord ou en Australie par exemple), les colons ont pu s’enfoncer loin dans les terres afin de fonder des institutions capables de garantir des droits (de propriété en particulier) afin de stimuler le progrès technique et les investissements économiques à long terme. Ces nouvelles gouvernances, limitant l’abus de pouvoir et créant un environnement propice aux affaires serait ainsi la raison, selon les trois lauréats, justifiant la tendance des pays au legs institutionnel inclusif à être plus riches et plus stables.

Leur conclusion : seuls les États comportant des institutions politiques et économiques inclusives peuvent atteindre des hauts niveaux de développement économique, car les organismes extractifs seraient trop sujets à la volatilité et l’instabilité politique, aggravant la performance économique et l’impact des chocs externes, contrairement aux nations aux gouvernements inclusifs qui disposent des moyens politiques et institutionnels pour réagir de manière proactive aux crises économiques 

Un prix et une nomination pas exemptes de critiques 

Néanmoins, les théories des trois chercheurs sont bien loin de faire l’unanimité. Leur approche pourrait entre autres être qualifiée de relativement partielle, et résolument anglo-saxonne. L’institutionnalisation du droit de propriété, vu comme clé de voûte de la croissance, est elle-même issue de la culture juridique occidentale. Selon Ingrid Kvangraven, économiste au King's College de Londres, la théorie des institutions a réussi à « intégrer le colonialisme dans la théorie économique dominante sans remettre en question l'eurocentrisme sous-jacent du capitalisme ». Selon elle, il aurait été pertinent de se concentrer sur des économies qui se sont typiquement développées sans l’aide de la colonisation ou d’un système occidental, afin de saisir l’étendue des possibles en termes de développement. La Chine, un pays dont les institutions sont moins basées sur un modèle occidental, en est un exemple, car elle a plus que réussi à faire la différence dans l’échiquier économique. De plus, les auteurs se sont penchés uniquement sur les pays qui ont réussi, malgré le fait qu’énormément est à apprendre des civilisations qui ont eu des échecs mais se sont relevés économiquement par la suite.

Cette nomination, au même titre que le prix lui-même, déjà raillé par ses détracteurs comme étant un « faux Nobel » du fait de son statut non imaginé par l’inventeur et son ajout tardif aux récompenses traditionnelles, est ainsi sujette aux critiques. L'année dernière, le Nobel revenait à Claudia Goldin, professeur d'économie à Harvard pour ses recherches avant-gardistes sur l'émergence des femmes sur le marché du travail et aux différences de traitement entre les deux sexes. Elle est aussi l’une des 3 femmes sur 93 lauréats à avoir été distinguée dans cette catégorie, en plus de 55 ans. Elinor Ostrom (2009) et la Franco-Américaine Esther Duflo (2019) complètent cette modeste liste.

Sur des bruits de fond de critiques liées à un biais occidental des recherches, les lauréats du Nobel 2024 ont mis l’histoire à l’honneur dans un contexte global où la compréhension culturelle devient impérative pour décrypter les grandes tendances, tensions et inégalités économiques de notre monde. Rendez-vous cette année pour la suite. 

Sources : Le Monde, Les Echos, Le Figaro, Slate, The Nobel Prize, La Finance Pour Tous

Les analyses et les opinions mentionnées dans le présent document représentent le point de vue de(des) l’auteur(s) référencé(s). Elles sont émises à la date indiquée, sont susceptibles de changer et ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle.