Philippe Waechter, Chef économiste chez Ostrum Asset Management.
Aujourd’hui, le débat sur l’inflation suggère que celle-ci ne pourra en aucun cas être la source d’ajustement souhaitée à l’échelle macroéconomique, soit parce que l’inflation est perçue comme ne pouvant pas revenir, soit parce que le retour de l’inflation aurait des conséquences trop périlleuses pour l’équilibre macroéconomique et financier.
Mais se priver de l’inflation, c’est se priver d’une variable d’ajustement macroéconomique importante historiquement. La réticence à utiliser l’inflation comme instrument d’ajustement macroéconomique résulte de deux phénomènes observés pendant les périodes où l’inflation était plus élevée.
L’inflation ne serait plus un instrument d’ajustement macroéconomique… parce qu’elle crée de l’incertitude
L’inflation crée de l’incertitude puisqu’un taux d’inflation plus élevé dans la durée provoque une volatilité plus forte de l’inflation. Lorsque l’inflation est forte, la volatilité l’est aussi alors que lorsque l’inflation est réduite, sa volatilité est aussi beaucoup plus limitée. Cela peut être gênant dans la signature des contrats de long terme car on ne sait pas très bien comment anticiper l’inflation dans le futur. Avec une inflation plus basse et une volatilité réduite, l’anticipation de l’inflation est plus simple. Les contrats à long terme sont donc plus aisés à rédiger. Les clauses d’indexation sont moins aléatoires et l’incertitude macroéconomique réduite.
L’inflation ne serait plus un instrument d’ajustement macroéconomique… parce qu’elle entraîne des taux d’intérêt plus élevés
La période d’inflation plus forte est cohérente avec des taux d’intérêt de long terme plus élevés. L’anticipation d’une inflation durablement plus haute et l’incertitude associée accroissent la prime de risque.
En outre, les économies ayant des taux d’inflation différents provoquent une forme de fragmentation financière entre des économies ayant des stades de développement similaires. Les arbitrages sont biaisés par le niveau de l’inflation et l’incertitude associée. Dans une région comme la zone Euro une telle situation n’est pas viable. C’est pour cela que l’inflation élevée n’est pas appréhendée comme une solution.
En outre, depuis le début des années 1980, la baisse de l’inflation et la crédibilité des banques centrales ont fait s’effondrer les taux d’intérêt. C’est une source de la puissance du secteur financier au cours des 4 dernières décennies. Une remontée de l’inflation inverserait le processus, provoquant à terme une hausse des taux d’intérêt et une situation inédite et peu confortable pour le secteur bancaire et financier.
L’inflation ne serait plus un instrument d’ajustement macroéconomique… parce qu’elle n’est plus en phase avec l’activité économique
Aux USA et en zone euro, sur la dernière décennie, l’évolution des prix à la consommation est peu sensible à l’évolution de l’activité économique. Les formes des négociations salariales, les pressions déflationnistes et les modes d’indexation ont rendu les deux courbes, d’inflation et d’activité, assez peu en phase l’une avec l’autre.
Pour illustrer ce phénomène, on peut prendre un exemple aux USA et un exemple en zone euro. Aux Etats-Unis, le taux de chômage a baissé de façon continue de 2010 à 2019 sans que le taux d’inflation n’évolue. En zone euro, la courbe de Phillips qui lie le taux de chômage et l’inflation ne suggère plus une relation inverse entre les deux indicateurs (Phillips avait montré, de façon empirique, que la baisse (hausse) du taux de chômage s’accompagnait d’une hausse (d’une baisse) du taux d’inflation.
Pourtant, pour permettre la reprise économique, l’inflation ne doit pas être trop basse
L’économie de demain, de celle qui sortira de la crise sanitaire ne ressemblera pas à l’économie d’avant cette crise. Personne n’imagine que le fonctionnement de l’économie puisse être similaire à celui d’avant 2020. L’économie de demain ne ressemblera pas à celle d’hier. Il faut reconstruire le potentiel de l’économie, trouver de nouveaux supports à la croissance mais pour une croissance soutenable dans la durée. C’est un changement de cap dans la structure de l’économie.
La rupture ressemble à celle de 1974 lors du premier choc pétrolier. La hausse brutale du prix du pétrole a rendu de nombreux secteurs industriels non profitables. L’économie a dû s’adapter et se reconfigurer. Le choc subi est du même ordre. D’un seul coup il engendre beaucoup de désorganisation et oblige à repenser le mode et la forme de la croissance.
Pour faciliter les ajustements macroéconomiques dans la reconstruction du potentiel de l’économie, le taux d’inflation plus élevé a aidé. Des secteurs ont besoin d’attirer des salariés et de les attirer avec des salaires plus élevés. Dans d’autres parties de l’économie, l’ajustement s’opèrera avec des salaires moins attractifs. Cependant, afin de limiter la déprime, cet ajustement ne peut pas se faire à inflation trop réduite car alors les ajustements salariaux pourraient être négatifs provoquant des dynamiques anxiogènes à grande échelle. Un taux d’inflation plus élevé facilitera l’ajustement comme il l’a facilité après le choc pétrolier. Il faut retrouver de l’agilité pour s’adapter. Ce sont aux gouvernements de prendre les mesures qui créeront des phénomènes persistants générateurs d’inflation. Avec le premier choc pétrolier, l’indexation des salaires avait été l’instrument clé. Aux gouvernements d’inventer le nouveau mécanisme qui facilitera l’ajustement macroéconomique.
Source : Blog de Philippe Waechter
Les analyses et les opinions mentionnées représentent le point de vue de l’auteur. Elles ont été émises le 4 mars 2021 et sont susceptibles d’évoluer. Elles ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle.